Vous êtes ici :

Le kiosque

Newsletter 6 – juin 2012 – Droit civil

Le juge impartial et le plaideur

Le juge a parmi les devoirs de sa mission celui de l’impartialité. Mais être impartial n’interdit pas la cohérence de l’analyse juridique.

La Cour de Cassation a eu à répondre à la question amusante où la position du juge sur une question de droit est prévisible, voire connue parce qu’il a déjà jugé ce point dans un autre dossier.

Logiquement et c’est heureux pour la rectitude intellectuelle des magistrats, la Cour de Cassation répond que l’impartialité du juge ne peut être remise en cause.

Cour de Cassation, 1ère Chambre Civile 18 mai 2011 n° 10-10282.

La jurisprudence peut-elle changer ?

Pour les auteurs du Code Civil, la réponse aurait été probablement négative tant le souci était la clarté ou l’exactitude de la règle, et à ce titre sa prévisibilité.

Les tribunaux ont évolué, les remises en cause ne sont pas rares et la réponse à la question posée est : oui.

C’est une difficulté de la profession d’avocat. L’avocat doit connaître la règle mais il doit aussi savoir dire à son client dans quels domaines la jurisprudence est débattue, évolutive avec un aléa de changement de solution.

Compte tenu du délai pour arriver à une solution de principe de la part de la Cour de Cassation ou du Conseil d’Etat, un changement de jurisprudence va s’appliquer à des situations nées avant son prononcé ou des parties ont par exemple établi un contrat sur la base d’une règle A dont l’interprétation est remise en cause.

Les Tribunaux ont pendant longtemps procédé à des changements d’appréciation et donc de jurisprudence ou à des annulations de telle ou telle disposition sans se préoccuper des conséquences pratiques.

Cette situation a évolué dans la période récente et tant la Cour de Cassation que le Conseil d’Etat ont une réflexion évidente sur l’intération de leurs décisions avec la société (c’était une des thématiques portée par Maître CANIVET, Président de la Cour de Cassation avant de signer au Conseil Constitutionnel).

Ceci a conduit les hautes juridictions à donner un effet décalé dans le temps à leur décision (ex : arrêt AC).

Un justiciable Français est allé jusqu’au bout du débat et a contesté devant le Juge… Européen (la Cour Européenne des Droits de l’Homme, CEDH) au titre du contrôle de conventionnalité.

La CEDH a répondu avec la plus grande netteté : les exigences de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime envers son juge ne créent pas un droit à une jurisprudence constante.

CEDH, 26 mai 2011 LEGRAND/FRANCE.

Comme en toute chose, il convient simplement de ne pas en abuser.

Une décision doit être motivée

Cette règle est d’évidence. Qui admettrait l’inverse ?

Ce simple énoncé laisse intacte la question du niveau de motivation.

Pour la Cour de Cassation, le juge doit motiver sa solution mais il doit le faire après avoir rappelé les prétentions de chaque partie et ainsi établir les moyens auxquels il doit répondre.

« La Cour d’Appel qui n’a pas usé, avec indication de leur date, les conclusions déposées par le demandeur ni exposé succinctement dans sa motivation, les prétentions et moyens figurant dans ces dernières conclusions, a violé les textes susvisés. »

Cour de Cassation, 3ème Chambre Civile, 31 mai 2011 n° 10-20.846.

L’exposé peut être succinct mais doit exister : éternel équilibre recherché entre transparence et efficacité.

Il est permis d’ajouter que si la motivation peut être succincte, elle doit être l’œuvre du juge.

La Cour de Cassation a estimé dans une autre espèce et devant une autre Chambre que la reproduction pure et simple des conclusions de la partie auquel le juge donne satisfaction peut faire peser un doute légitime sur l’impartialité du juge et viole alors l’article 6, alinéa 1 de la CEDH.

Cour de Cassation, 1ère Chambre Civile, 17 mars 2011, n° 10-10.583.

Les joies de la procédure

Comme toute technique, la procédure a ses amoureux et ses praticiens. Tout le monde n’est pas frappé d’émotion devant une équation tout comme des passionnés des mathématiques y verront de la beauté…

C’est pareil pour la procédure. Au risque d’aller à l’encontre de la société de l’émotion, le Droit est une science.

Un exemple des joies de la procédure ? Le mot même de défense. Rien que de plus naturel pour un avocat qui considèrera : voilà mon cœur de métier.

Certes et pourtant la Cour de Cassation a dû se réunir dans sa formation la plus large – l’Assemblée Plénière – pour essayer de mieux définir ce mot.

Suivez l’équation :

  • L’article 72 du Code de Procédure Civile dit que : « les défenses au fond peuvent être proposées en tout état de cause ». Ce n’est pas compliqué. Vous soulevez une défense au fond quand vous voulez et comme vous voulez.
  • L’article 68 du Code de la Procédure Civile dit que : « les demandes incidentes sont formées à l’encontre des parties à l’instance de la même manière que sont présentés les moyens de défense « ouf ! C’est la même chose – mais ajoute dans son alinéa 2 qu’  « elles ne sont faites à l’encontre des parties défaillantes ou du tiers dans les formes prévues pour l’introduction de l’instance. En appel, elles le sont par voie d’assignation. 

C’est plus compliqué et ce n’est plus comme vous voulez et quand vous voulez !

Quelle est la différence entre une défense au fond et une demande incidente dont le plus bel exemple est la demande dite reconventionnelle ?

  • Défense au fond : « je ne vous dois pas d’argent ».
  • Demande reconventionnelle : « je ne vous dois pas d’argent et c’est vous qui m’en devez ».

Voyez-vous une différence pratique, ontologique entre ces deux parties de l’équation ? Pas vraiment.

Et dans la pratique, il peut exister des situations où la différence est infinitésimale et où les solutions sont pourtant différentes.

Si vous voulez en savoir plus entre :

  • constitue une défense au fond tout moyen qui tend à faire rejeter comme non justifiée, après examen au fond du droit, la prétention de l’adversaire (article 71)

et

  • constitue une demande reconventionnelle la demande par laquelle le défendeur originaire prétend obtenir un avantage outre que le simple rejet de la prétention de son adversaire (article 64)

Vous aimez les mathématiques et la procédure et vous avez rendez-vous avec les commentaires sous : Assemblée Plénière Cour de Cassation.